Littérature – Philosophie

Qu’est-ce que l’idiotie ?

Temps de lecture : 4 minutes

Commençons par l’étymologie. Le mot vient de idios « qui appartient en propre à quelqu’un ».

On a aussi le mot grec idiôtês « simple particulier ».

On retrouve idio dans différents termes :

 ● Idiome :

  Particularité de style ; langue propre à une communauté (nation, etc.). Ou encore : moyens d’expression d’un groupe, d’une communauté qui lui sont propres. C’est aussi les moyens d’expression spécifiques à une discipline, à un domaine, à une activité.

● Idiotisme : forme linguistique spécifique à une langue et qui n’a pas d’équivalent dans une autre langue.

Idiomatique :

  Signifie qui est propre à une langue. Qui appartient spécifiquement à une langue.

 ● Idiosyncrasie : 

  Réaction particulière, personnelle, d’un individu aux sollicitations et influences extérieures.

   Psychologie propre à chaque individu.

Nous retrouvons dans ces termes la même idée :

 Ce qui est particulier

 Ce qui est propre à …

 Ce qui est spécifique

 Ce qui appartient en propre à…

 Ce qui ne peut se déboubler

● Qu’est-ce que le réel ? Qu’est-ce que le monde extérieur ?

Pour continuer il est important de savoir ce que l’on entend ici par réel.

  • Pour le conducteur d’une voiture, c’est le code de la route, les autres usagers, les événements qui surgissent à chaque instant.
  • Pour le sociologue c’est l’ensemble des faits sociaux.
  • Pour le psychologue c’est l’ensemble des faits psychiques, psychologiques.
  • Pour l’astrophysicien c’est l’univers, les galaxies, les étoiles, les planètes.
  • Pour un parent c’est l’ensemble des dangers susceptibles de menacer les enfants, c’est l’éducation en général, le savoir nécessaire à l’adaptation à la société, l’affection, l’amour, etc.

    etc.

● Idiot

Quel est le rapport entre l’idiome, l’idiosyncrasie et le mot idiot ?

L’idiot, eu égard à cette racine étymologique, est précisément celui qui pense, agit, réagit en fonction de ce qu’il est dans sa particularité. Autrement dit, de même que les expressions qui n’appartiennent qu’à une langue ne sortent pas de cette langue, y restent à l’intérieur, l’idiot ne sort pas de lui-même. Il reste à l’intérieur de lui-même.

 Ainsi, l’idiot est dans l’incapacité de sortir de sa propre vision des choses. Il ne peut, ainsi, appréhender le monde extérieur et reste enfermé dans sa propre spécificité.

 Dès lors, la relation nécessaire entre l’acte de penser, l’adaptation, le changement, ne peuvent se faire. L’idiot est alors immobile, inerte, incapable de s’adapter aux événements, de les penser et d’agir. Ou il agit en étant déconnecté de ces événements.

Réfléchir
 

 Enfermé dans sa propre particularité, dans son individualité, l’idiot ne peut ainsi opérer le mouvement réflexif, ce retour en soi afin d’examiner ses propres idées, principes et intuitions, pour les corriger, les modifier, les mettre en adéquation avec la réalité.

  Et pour cause. Réfléchir, en ce sens, c’est s’extraire de soi-même. Réfléchir est avoir l’aptitude à sortir de soi, intégrer un nouveau contenu et adapter sa connaissance en fonction de ce contenu.

 Ainsi, l’idiot peut-être partout. On peut avoir une grande culture, être un spécialiste, un expert et être idiot dès lors que la certitude de soi, de son savoir, porte la personne à considérer que son acquis est certain, non questionnable.

 L’idiot, de ce fait, pense que la réalité, dans le sens très général, doit nécessairement correspondre à ce qu’il pense, dans son individualité, dans sa particularité. Il perd de vue que l’acte de penser est toujours une difficile et continue tentative de combler l’écart qui sépare notre connaissance du réel, et que cette tentative nécessite d’être constamment prudent et, surtout, de pouvoir modifier, transformer son savoir en fonction des mouvements imprévisibles du monde.   

  ● Enfermé dans sa pensée

 Enfin, une pensée est idiote dès lors qu’elle généralise son point de vue, dès lors qu’elle pose sa particularité comme la seule possibilité de comprendre le monde avec une certitude inébranlable.

 Incapable de sortir d’elle-même, elle ne voit pas les possibilités qui l’entourent. Par exemple, quand l’acte de penser est face à une crise, le paradigme en cours n’est plus fonctionnel. L’idiotie consiste ici à vouloir l’appliquer malgré tout avec une certitude inamovible.

Si l’on utilise un paradigme caduc pour s’adapter à la réalité, alors on est bien immergé dans une pensée idiote.

● Le drame humain

 Le drame humain est de ne jamais voir que l’histoire montre constamment que le réel court plus vite que nous, qu’il est plus endurant. Mieux encore. On le voit, on le sait mais on l’oublie, engoncés que nous sommes dans le besoin de certitude. C’est au moins en ce sens qu’il faut considérer cette affirmation de Nietzsche : « Ce n’est pas le doute, c’est la certitude qui rend fou. »

On peut aussi remplacer le mot certitude par idiot.

Il y a encore plein de choses à dire…

***

« Qui se contente de sa pensée ne pense plus rien. »

                                                                  Alain

« Il vient un temps où l’esprit aime mieux ce qui confirme son savoir que ce qui le contredit, où il aime mieux les réponses que les questions. Alors l’instinct conservatif domine, la croissance spirituelle* s’arrête. »

                                                                  Bachelard

*à ne pas prendre dans le sens religieux. C’est ici l’acte de penser, la connaissance.

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Denis Faïck
Denis Faïck Philosophe, maître de conférences

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