L’homme a besoin d’un maître affirmait Kant au XVIIIe siècle. En même temps il soutenait, dans son opuscule Qu’est-ce que les Lumières ?, la nécessité de se servir de son propre entendement. Ce qu’on appelle penser par soi-même, ce qui est un pléonasme, d’ailleurs, car penser est en soi une activité intellectuelle singulière de construction de concepts, de démonstrations, de nuances, etc.
Les Encyclopédistes de ce siècle seraient, je crois, enthousiastes s’ils vivaient aujourd’hui. Ils seraient, avec leur projet de rendre la philosophie populaire, de démocratiser le savoir, d’étendre la connaissance au plus grand nombre, fascinés par les moyens de diffusion du savoir que nous avons.
Cependant, on peut constater que la culture, que la multiplication des techniques d’accès aux connaissances susceptibles d’approfondir l’acte de penser, sont uniformisées par la médiation de personnalités « construites » par les médias, qui deviennent de véritables « maîtres à penser ». Si, en ce cas, la première affirmation de Kant est confirmée, la seconde laisse peut-être à désirer.
Dès que certaines personnes marquent, d’une manière ou d’une autre, leurs discours d’un côté spectaculaire, alors certains médias s’en emparent et en font des parangons de la bien-pensance sur des sujets souvent anxiogènes, ou des sujets d’actualité du moment : l’écologie, la destruction de la planète, etc. Ainsi, ce qui est à craindre, c’est que ces figures médiatiques ne nous portent pas à penser, mais à répéter ce qu’elles disent. Ces hérauts, et héros des temps contemporains, à qui on donne la parole nécessairement, tiennent probablement des discours intéressants, mais ce qui pose problème est le monopole dont elles disposent, l’aura médiatique, le charisme dont la connaissance objective n’a que faire.
Je pense à cette jeune adolescente, Greta Thunberg. Je ne sais pas si elle sait vraiment de quoi elle parle. Je ne sais pas ce qu’elle connaît à l’écologie. Je sais simplement que cette montée médiatique me laisse perplexe.
Je pense à Pierre Rhabi, Matthieu Ricard, Aurélien Barrau, Boris Cyrulnik, etc. Je me demande juste si leur discours est reçu comme parole d’évangile, ou s’il est analysé, décortiqué, approfondi par un questionnement. Dès qu’un nom et une image deviennent en eux-mêmes un gage de qualité et de profondeur, alors il y a un problème.
L’acte de penser ne peut jamais être inconditionnel de quelqu’un.
On pourra retourner les choses dans tous les sens, on ne transformera jamais cette exigence : penser demande du temps, du recul, du sang-froid, une prise en charge par soi.
L’aura, la sympathie, la gentillesse, la rhétorique ne font en rien un discours rationnel, doutant, questionnant, essayant difficilement de dire ce qu’est le monde en cherchant des critères du bien-fondé.
La première chose à faire, peut-être, est de prendre du recul par rapport aux énoncés sûrs d’eux-mêmes qui affirment tout avec une certitude inébranlable à grands renforts d’émotions.
Merci de votre lecture.